Jaillissement de l’esprit. Ordinateurs et apprentissage.
Note de lecture du livre de Seymour Papert (Flammarion 1980-81)
janvier 1998, par
L’ouvrage de S. Papert (qualifié par lui-même comme un “essai”) fait l’apologie d’un certain usage de l’ordinateur dans l’éducation des enfants. Ce nouvel élément modifie radicalement la manière de concevoir l’enseignement.
Pour construire cette étude, S. Papert mets en oeuvre tout à la fois ses compétences d’informaticien et mathématicien, d’épistémologue, de psychologue et de pédagogue. C’est un élève de J. Piaget. Il profite aussi des travaux naissants sur l’intelligence artificielle.
Avant cette note de lecture...
Ce travail a été fait à l’origine pour un cours de psychologie de l’apprentissage.
Je ne reprend pas vraiment le plan de l’ouvrage de S. Papert dans cette note de lecture. J’en retire plutôt les éléments qui m’ont semblé intéressants, pertinents ou discutables. Je dois préciser pour commencer que j’ai été moi-même utilisateur LOGO dans ma scolarité et plus tard en tant qu’éducateur dans le cadre d’application de robotique pédagogique. C’est pour cette raison que je ne me suis pas attaché à comprendre ce qu’était LOGO, mais plutôt le modèle de pensée qui l’a produit et ses effets sur le développement de la pensée chez les enfants.
Les origines de l’étude de Seymour Papert
S. Papert poursuit les idées de J. Piaget. Il s’inscrit dans l’école “constructiviste”. Il ajoute un élément aux notions piagétiennes courantes d’assimilation et d’accommodation : l’importance de l’affectif dans l’apprentissage. Sur ce point, J. Piaget n’est pas en opposition avec S. Papert, mais n’a pas étudié cet aspect parce qu’il manquait à son avis d’éléments théorique à ce sujet.
Concept difficile ou manque de matériau ?
Une autre différence apparaît entre J. Piaget et S. Papert, et qui détermine l’ensemble des travaux de S. Papert, concerne les raisons d’une difficulté à assimiler certains concepts. Pour qu’un concept soit assimilé, il faut que l’enfant ait un matériau (au sens très large) à sa disposition dans son environnement qui soit manipulable.
Pour J. Piaget, c’est que le concept est trop compliqué à assimilé. Il pourra l’être plus tard. Certains concepts ne pourront être assimilés qu’à partir d’un certain âge, et suite à l’assimilation d’autres concepts (pré-requis). Cette difficulté n’est pas culturelle, mais universelle (les études empiriques semblent confirmer cette vue). Ce fait amène J. Piaget à déterminer des stades de développement de l’intelligence commun à tous les enfants. Pour S. Papert, si un concept pose des difficultés lors de l’apprentissage, c’est qu’il y a manque de matériau pour l’assimiler. Autrement dit, l’ordre dans lequel sont acquises les connaissances ne sont pas des données universelles, mais découlent de l’abondance ou de pénurie de matériaux portant sur ces connaissances. Cette hypothèse établie, S. Papert propose de créer de nouveaux matériaux propres à aider l’acquisition de notions mathématiques et physiques (comme exemple). Il a recours à l’informatique.
Le langage : modèle de l’apprentissage naturel réussi
S. Papert et son équipe du MIT ont développé un langage spécialement adapté aux enfants. Il s’agit du langage LOGO.
Il commence par faire un constat qui guidera l’ensemble de son projet : l’apprentissage le plus répandu, qui réussit à tout coup est celui de l’apprentissage de la langue. Cet apprentissage se caractérise par une absence d’enseignant désigné. Il se fait naturellement. Le groupe de pédagogues (autour de S. Papert) part de ce modèle d’apprentissage de la langue (en dehors de l’école) pour le reconduire à d’autres domaines.
Le LOGO est une langue proche du langage naturel, il est facile à apprendre. Le principe est que c’est l’enfant qui apprend à l’ordinateur à réaliser des tâches. (Cet apprentissage se fait par une suite d’essai-erreur. Le statut et surtout le jugement de valeur porté sur l’erreur fait l’objet d’un développement dans l’ouvrage.) S. Papert se démarque d’une manière importante des didacticiels, ces logiciels qui font l’objet d’un grand nombre de développement. Le didacticiel est un logiciel créé pour enseigner à l’élève une discipline. Autrement dit, c’est reproduire l’enseignement classique avec un ordinateur. On garde par là la conception disciplinaire et transmissive de l’enseignement et le suivi d’un “ programme d’enseignement ” pour chaque niveau. S. Papert pense, espère, prévoit que l’ordinateur révolutionnera l’éducation.
La démarche de l’auteur
S. Papert utilise une démarche inductive : il part de la notion de mathématique qu’à une personne (en l’occurrence lui-même) pour en déduire un modèle de pensée et un modèle d’apprentissage à penser.
Dans son enfance, il a pu manipuler des engrenages. Il s’est produit un événement affectif avec ce matériau. Plus tard, il s’est servi de ces engrenages comme “ objets-pour-penser-avec ”. Il arrivait à comprendre l’utilité et le fonctionnement d’un bon nombre de notions mathématiques grâce aux engrenages. Cette notion d’“ objets-pour-penser-avec ” est un des fondements supplémentaire de son modèle de pensée.
Dichotomie de Jean Piaget : pensée concrète et pensée formelle
J. Piaget distingue des stades de pensée : pensée concrète et pensée formelle, la première conditionnant le développement de l’enfant lorsqu’il est jeune, la dernière venant s’y ajouter plus tard, n’étant accessible qu’à partir de 12 ans. Certaines notions ne sont assimilables que grâce à la pensée formelle. Par conséquent, ces notions ne peuvent pas s’acquérir avant un certain âge.
Ordinateur : fournisseur de matériaux concrets
S. Papert apporte une autre vision. L’ordinateur permet de rendre concret le domaine formel. Ce qui lui fait penser que l’ordinateur révolutionne le développement des individus. C’est un changement profond. L’ordinateur permet à un enfant de devenir penseur formel, en “ parlant mathématique en mathématie ”. Il reprend ici l’analogie avec l’apprentissage d’une langue. C’est en étant dans le pays que l’on apprend le plus naturellement et le plus facilement à parler la langue. S. Papert, grâce au LOGO, plonge l’enfant dans le pays de mathématie.
Pour illustrer cette proposition, S. Papert prend deux exemples.
– Illustration pour la pensée combinatoire (objet de nombreuses expérimentations par l’équipe de J. Piaget) :
La notion de combinaison est conditionné par celle de systématisation. Dans notre environnement naturel, un enfant n’a pas de matériaux adéquats incitant à la systématisation. Du coup, l’apprentissage se fait par l’abstraction et par tâtonnement. Or, les boucles imbriquées en informatique fournissent ce matériau manquant, qui rend concret cette opération de systématisation.
– Illustration pour la pensée autoréférentielle (celle dont l’objet est la pensée elle-même).
Couramment, apprendre, c’est "j’ai compris ou non". Avec l’ordinateur et le langage LOGO, ce n’est jamais parfait du premier coup. On débugue petit à petit le programme avant d’arriver à ce que l’on veut. De ce fait, l’ordinateur devient un "objet-pour-penser-avec". C’est l’hypothèse (non formulée comme telle pas S. Papert) de transfert cognitif du LOGO.
Obstacles à la société informatique
S. Papert cherche à convaincre que les ordinateurs peuvent se démocratiser (ce débat n’a plus lieu d’être 20 ans après l’écriture de ce livre).
Il répond à ses contradicteurs selon lesquels :
– l’ordinateur rend la pensée mécanique : au contraire, l’enfant observe le mécanisme, il devient épistémologue (il doit réfléchir sur sa propre pensée).
– l’ordinateur fascine et enferme en rendant asocial son utilisateur : c’est un risque en effet, mais la cause n’est pas l’usage de l’ordinateur, mais en exagère seulement les effets.
Changement de statut de l’apprenant.
L’enfant épistémologue
En programmant en LOGO, et en particulier la tortue, les enfants doivent réfléchir sur la pensée : "comment ferais-je moi-même ce que je veux que la tortue fasse ?". La réflexion sur sa propre pensée rend épistémologue l’enfant.
Le plus souvent, les enfants (se) demandent comment faire pour que la tortue LOGO réalise telle tâcher. Pour trouver une réponse, il faut qu’ils prennent la place de la tortue, réalisent la tâche en observant ce qu’ils font pour le traduire en langage LOGO.
Les ordinateurs peuvent conduire à une pensée plus consciente et plus réfléchie. En fait, tout dépend du système employé. Le LOGO incite à un dialogue portant sur la pensée. Ce n’est pas le cas des autres systèmes.
L’ordinateur aura des effets qui dépendra des choix techniques des concepteurs, politiques des décideurs.
Didacticiel et Logo.
Dans un didacticiel d’orthographe ou de grammaire, l’élève suit des exercices préparés à l’avance pour lui. Ce type d’outil infantilise encore les enfants.
Dans une machine à traitement de texte, le créateur du texte fait un premier jet, puis peux modifier son texte autant de fois qu’il le désire, sans garder de trace. Les corrections sont faciles. Ce travail de création rejoint le travail d’un adulte professionnel. Le statut de l’enfant est totalement renversé.
LOGO et programme scolaire
Le LOGO peut servir à faciliter des apprentissages contenu dans un programme scolaire (angles, formes...) mais il n’est pas conçu pour cela.
L’éducation selon J. Piaget est en contradiction avec l’existence d’un programme scolaire.
Dans l’apprentissage piagétien, il s’agit de modifier, enrichir, nettoyer l’environnement en outils. Dans ce cas, l’éducateur doit être ethnologue, anthropologue culturel et non enseignant.
LOGO : "le pays des mathématiques"
Quand les mathématiques scolaires créent la mathophobie.
Pour la plupart des personnes ayant suivi une scolarité traditionnelle, les mathématiques sont sujet de dégoût.
Communément, on distingue “ sciences ” et “ lettres ” comme deux groupes de disciplines. Pour S. Papert, cette distinction n’est que culturelle. Il se trouve que tout le monde est naturellement mathématicien par des besoins de la vie courante ; mais certaines personnes vont refuser les mathématiques dès qu’elles sont identifiées comme telles.
Si beaucoup de personnes sont mathophobes, cela provient de l’enseignement des mathématiques qui se caractérise par une dissociation du vécu des enfants et par des recettes à apprendre.
LOGO : pays des "mathématiques naturelles"
Pour échapper à cet écueil, S. Papert propose, comme nous l’avons déjà vu, de plonger les enfants en “ mathématie ”. Les enfants vont découvrir naturellement des notions de mathématiques dans un micromonde (le LOGO) de la même manière qu’ils apprennent naturellement une langue ou d’autres concepts, de la manière qui est décrite par J. Piaget.
Seymour Papert fait une analyse des mathématiques scolaires. Elles sont une construction suite à des accidents, ou plus généralement, une histoire, mais n’ont pas été réfléchies selon des critères objectifs. L’habitude reste la seule raison du contenu des programmes scolaires en mathématiques.
S. Papert construit le LOGO comme un micromonde où les mathématiques pourraient être appropriées par les enfants. Pour cela, il faut qu’il réponde au
– principe de continuité, continuité avec les connaissances déjà assimilées par les enfants, ce qui permet un ancrage cognitif et un rapport affectif possible ;
– principe de puissance ajoutée, qui permet à l’enfant, grâce à ses nouvelles connaissances de développer de nouveaux projets qu’il n’aurait pas pu imaginer avant de les avoir acquises ;
– principe de résonance culturelle, il faut pour cela qu’il y ait une reconnaissance des mathématiques apprises par les enfants dans la société, donc aussi par les adultes.
Les mathématiques faites pour apprendre
S. Papert imagine les mathématiques non pas à partir d’un contenu minimum admis provenant de la recherche scientifique, mais s’attache (...) "Mathématiques informatiques".
Changement de statut de l’erreur ou le "bug"
Traditionnellement, lorsqu’un élève fait une erreur en mathématiques, il s’empresse de l’oublier. Cette réaction est encouragée par la sanction scolaire qui dit "faux" ou "bon".
En LOGO, l’erreur n’est pas qualifiée un tord, mais un défaut de programme. On parle de “ bug ”. La présence d’une bug amène à une activité de débugage. Ils n’ont jamais à jeter la totalité d’un programme parce qu’il ne fait pas ce qui était prévu. L’élaboration d’un programme en LOGO se fait par une suite d’essai, erreur et correction. Les enfants prennent conscience qu’il n’y pas vraiment de “ bon ” et de “ faux ” puisque peu à peu, leur programme s’approche de plus en plus de ce qu’ils veulent qu’il fasse.
L’apprentissage “ syntone ”
Si l’on veut apprendre quelque chose, il faut y trouver un sens. Le LOGO a été conçu pour que les enfants y trouvent un sens pour eux, quelque chose qui s’accorde avec leur perception.
L’apprentissage syntone peut être opposé à l’apprentissage dissocié que présente traditionnellement l’école, dans laquelle ce qui est enseigné ne s’accorde pas avec les enfants.
Ce qui fait que le LOGO est syntone, c’est que l’enfant veut pour lui-même réaliser telle ou telle tâche. De plus, il y a syntonie corporelle parce que l’enfant pour apprendre quelque chose à la tortue, peut prendre sa place, faire comme la tortue devrait faire. La phrase répétée par l’éducateur qui accompagne l’enfant dans le micromonde LOGO, est “ Fais comme si c’était toi la tortue. Vois comment elle dois faire ”.
Le résultat de l’accomplissement d’un tâche enfin débuguée par l’enfant est une fierté de l’enfant. Son activité avait un sens, il trouve une joie à sa réalisation.
Stratégies d’apprentissages transférables
Le LOGO engage l’enfant à élaborer et utiliser des stratégies d’apprentissages qui seront reconductibles devant n’importe quel autre problème rencontré, par exemple : puis-je rapprocher le problème à un problème déjà connu ? le problème peut-il être décomposé en plusieurs problèmes plus simples ?
Mettre en mots des apprentissages : langage de description adapté.
Pour aborder une activité, quelle qu’elle soit (physique, manuelle ou scientifique), il est essentiel de pouvoir verbaliser le processus de pensée, à la fois pour communiquer avec les autres et aussi pour pouvoir analyser pour soi ce qu’on fait et comment l’améliorer. Il n’y a pas de distinction rigoureuse entre disciplines scientifiques et physiques. Un enfant qui arrive à verbaliser sa démarche d’apprentissage grâce au LOGO, saura plus facilement aborder une activité (même physique, S. Papert prend l’exemple de la marche avec des échasses) parce qu’il réussira à verbaliser son processus et repérer les bugs.
Programmation structurée - structurer la pensée
Dans le langage LOGO, la programmation structurée assez vite indispensable. La programmation structurée consiste à découper un tout en petites parties indépendantes (qui peuvent entrer une ou plusieurs fois dans le tout). Dès qu’un enfant a un projet un peu ambitieux, il est confronté au handicap de répétition et à la difficulté de débugage. Le débugage est beaucoup plus aisé lorsque le projet est découpé en petites procédures.
La programmation structurée a des conséquences sur le raisonnement de l’enfant face à certaines tâches complexes. Il pourra reconduire cette nouvelle sorte de description d’une activité au nouveau problème qui se pose à lui.
Les micromondes - environnements maîtrisés
Dans la vie, il est rare de pouvoir saisir tous les paramètres et de tout saisir dans un problème. La LOGO est un micromonde dans lequel l’enfant peut tout saisir, tout comprendre d’une manière analytique. Il a plaisir à comprendre par exemple le comportement de la tortue, et il l’exprime le plus souvent.
Un micromonde est un environnement simpliste, autonome et délimité dans lequel certaines questions sont pertinentes et d’autres non. L’enfant qui évolue dans ce micromonde est en mesure de réaliser des projets qu’il aurait été impossible de construire dans la réalité.
Les enfants s’aperçoivent assez rapidement des limites du micromonde. Cette conscience est facilitée lorsqu’on leur propose de parcourir d’autres micromondes que celui de la tortue LOGO.
Comportement face à un nouvel élément
Le micromonde LOGO est aussi nommé la “ mathétique ”. Les principes de mathétiques sont un ensemble de notions qui éclairent et facilitent le processus d’apprentissage. Deux de ces principes sont très importants lorsque l’on est confronté à quelque chose de nouveau :
– trouver un rapport avec quelque chose de connu ;
– s’emparer du nouvel élément et le faire sien.
Ces deux principes sont en fait une traduction des principes piagétiens d’assimilation (l ‘enfant intègre l’élément nouveau dans le fonds des connaissances déjà acquises) et d’accommodation (l’enfant structure son savoir en employant de manière active ce qu’il vient d’acquérir). Mais ce processus en deux étapes n’est pas aussi simple, car souvent le nouvel élément entre en contradiction avec des connaissances antérieures. Il y a alors un conflit.
Les préalables lors d’un apprentissage
Souvent aussi, il n’y a rien de connu auparavant qui permette de raccrocher le nouvel élément. C’est le rôle du micromonde de permettre à l’enfant de s’y référer plus tard lorsqu’il rencontrera une nouvelle notion. Chaque micromonde permettra de se représenter telles ou telles notions de mathématiques, physique, linguistique...
Les micromondes sont une réponse à un problème de pédagogie qui découle de la structure des connaissances : celui des préalables. Ils sont aussi une réponse au problème qui tient à l’individu : trouver le moyen de fournir à l’enfant un contexte lui permettant d’élaborer des “ théories de transitions ”. Ces théories de transmissions sont communément qualifiées de “ fausses ”. Les enfants se construisent des modèles qui leur permettent de se faire la main avant de les abandonner. S. Papert reprend les travaux de J. Piaget qui démontrent que ces fausses théories qu’élaborent les enfants sont nécessaires pour apprendre à penser. Les théories non orthodoxes des jeunes enfants ne résultent pas d’une faiblesse, mais sont un moyen pour eux d’assouplir leurs facultés cognitives, de développer, en s’entraînant leur aptitude à la construction de théories plus orthodoxes. Les micromondes permettent aux enfants de se construire des théories à eux. Le LOGO ne valorise pas la vérité ou l’erreur de la même manière que l’enseignement classique, qui décourage les enfants à se construire des théories.
De nombreux micromondes ont été développés par le groupe LOGO au MIT et ailleurs, reprenant les idées de Papert. Ces travaux progressent encore de nos jours en particulier par les groupes de chercheurs et praticiens en robotique pédagogique.
Les sources théoriques et méthodologiques
L’apprentissage piagétien.
C’est un apprentissage naturel, spontané, de l’individu en interaction avec son milieu.
Mais l’apport de J. Piaget dans l’œuvre de S. Papert est plus essentiel : l’épistémologie. Pour J. Piaget, il n’y a pas à dissocier l’étude de l’acquisition des mathématiques de l’étude des mathématiques. Comme pour n’importe quel autre apprentissage d’ailleurs. Aussi, pour créer un environnement riche en outil permettant l’acquisition de notions de physique, il faut commencer par étudier la physique elle-même, adapter un langage de description, observer comment les physiciens élaborent les théories...
Epistémologie génétique : étude de l’origine et du développement de la connaissance (et non l’étude de la validité des connaissances (Epistémologie)).
Les structures mères de Bourbaki.
(Bourbaki : pseudonyme d’un groupement de mathématiciens)
But : systématiser les mathématiques en une théorie uniforme (et non un ensemble de sous-disciplines). Pas pour théorie / apprentissage mais outil pour les mathématiciens.
Distingue des éléments fondamentaux “ structures mères ”.
Une structure plus complexe est une combinaison de structures plus simples, dont les plus importantes sont des structures mères.
J. Piaget après avoir travaillé dans ce sens, a repris ces travaux. Les enfants développent des structures intellectuelles proches des structures mères de Bourbaki.
#. chacune représente une activité cohérente dans la vie de l’enfant. Elle pourrait en principe être développée indépendamment des autres.
#. chacune est intrinsèquement simple. Théorie des groupements de J. Piaget.
#. Cohérence : Elles s’acquièrent en parallèles les unes des autres. Elles ont en commun un aspect formel. D’où : l’acquisition d’une structure facilite l’acquisition des autres.
J. Piaget cherchait à comprendre comment se développe l’enfant à l’heure actuelle.
S. Papert cherche à agir sur le développement que pourrait avoir l’enfant, et à développer des situations dans lesquelles se ferait se développement.
L’intelligence artificielle.
Discipline qui a fait avancer à la fois l’informatique et la psychologie parce qu’elle se sert de l’une pour étudier l’autre : tenter de donner à un ordinateur une “ intelligence ” et étudier l’intelligence humaine d’une manière “ informatique ”. Il s‘agit plus d’une science cognitive que d’une ingénierie. Pour qu’un ordinateur puisse communiquer en langage naturel avec un enfant, il va falloir étudier la linguistique, les problèmes informatiques n’ont pas grande importance.
Echantillon de la théorie empreinte de J. Piaget et de l’IA : la conservation.
La notion de conservation des volumes a été très étudiée pas J. Piaget.
Les enfants, jusque vers 6-7 ans, pensent qu’une quantité de liquide peut s’accroître ou diminuer dans on transvase d’un récipient dans un autre (par exemple plus étroit et plus haut). “ Comme par magie, tous les enfants changent d’avis. ” Ils pensent que la quantité de liquide est identique. Les explications traditionnelles de ce phénomène affirment que la raison de l’enfant ne pourrait l’emporter sur l’apparence des choses. La perception l’emporterait.
Au regard de l’intelligence artificielle, voici une autre explication.
Posons qu’il existe trois agents dans l’esprit de l’enfant :
1. Agent-hauteur -
Cet agent évalue une quantité d’après sa dimension verticale : très simplement, “ plus haut signifie davantage ”.
Il a des origines empiriques. Il est fréquemment utilisé par l’enfant pour voir si un enfant est plus grand qu’un autre ; pour égaliser des quantités de lait dans des verres...
2. Agent-largeur -
Cet agent évalue la quantité d’après la dimension horizontale : “ plus large implique davantage ”.
Il n’est pas aussi souvent mobilisé que l’agent-hauteur.
3. Agent-histoire -
Il dit que les quantités de liquide restent ce qu’elles ont été. “ Son discours semble être celui d’un enfant ayant atteint le stade de conservation. ” Mais ce n’est qu’apparence. L’agent-histoire ne comprend rien. Il affirmerait que la quantité serait la même, même si elle avait changé.
Un enfant auquel on pose le problème de conservation voit les trois agents mobilisés, qui poussent chacun à faire prévaloir leur point de vu. C’est l’agent-hauteur qui gagne en premier.
L’enfant évolue, se développe...
Les deux premiers agents, s’ils viennent en contradiction, se neutralisent. Ils cèdent la décision à l’agent-histoire. Certains agents s’organisent en groupement, c’est le cas de agent-hauteur et agent-largeur, mais pas avec agent-histoire, de sorte que tous les trois ne se neutralisent pas.
Un nouvel agent intervient : Agent-géom. Il est dans l’esprit de l’enfant. Il ne tient pas à une formule calculée venant d’un apprentissage. Il surveille agent-hauteur et agent-largeur. Agent-géom ne comprend rien : si les deux agents primaires sont d’accord, il transmet leur message avec assurance ; s’ils sont en désaccord, agent-géom ne sait plus et ne transmet plus rien. Un autre agent peut prendre le pas.
Cet exemple est un échantillon. En fait, il faudrait imaginer que dans un problème aussi simple que celui de la conservation, une multitude d’agents entrent en action. La particularité de cette modélisation tient aux liens entre les agents qui ressemblent plus à des relations sociales qu’à des opérations mathématiques.
Cette modélisation est emprunte à l’informatique dans l’organisation : des procédures simples, en s’assemblant, peuvent former des résultats complexes. Elle traduit la “ théorie des groupements ” et la notion de “ germe ” de J. Piaget.
Ce qu’il y a de nouveau, ce qu’apporte S. Papert, c’est l’utilisation de la correspondance avec l’informatique. La culture informatique peut “ grandement renforcer, chez les enfants, leur capacité à concevoir les structures en place sous des aspects qui mobiliseront leur potentiel conceptuel ”. Cela n’est possible que lorsque le langage informatique dispose de procédures pures (autonomes et mobilisables de manière modulaire). C’est le cas du LOGO.
L’hypothèse importante est donc que le savoir est fractionnable en modules.
Une conséquence de cette théorie : lorsqu’un étudiant essaye de comprendre une notion en mobilisant des descriptions formelles (logique, mathématiques scolaires) parce que l’école l’y pousse, il a plus de difficultés parce que ce n’est pas une démarche naturelle. Du coup, plus il avance dans ses études, plus il acquière des méthodes peu efficaces. Il perd de plus en plus d’assurance en lui-même, jusqu’à abandonner ses études.
Limites de l’étude
S. Papert, dans son étude, comme J. Piaget, ne fait pas intervenir l’aspect social dans l’apprentissage que comme élément environnant. L’outil LOGO n’incite pas au travail de groupe (même s’il ne l’empêche pas, quoique ses détracteurs l’affirment). Ce volet resterait à développer.
Une étude des transferts cognitifs est difficile mais indispensable, sitôt qu’on abandonne “ l’enseignement ” pour “ l’apprentissage ”. C’est à dire, qu’on écarte la possibilité de programme scolaire pour développer les facultés à apprendre, autrement dit l’éducabilité cognitive.
Loïc Dayot - janvier 1998
Vision personnelle suite à l’étude de l’essai.
Comme il avait raison !
A voir la manière dont sont utilisés les ordinateurs dans les établissements scolaires (en France en tout cas), on peut se dire que l’Éducation Nationale n’a pas su choisir au bon moment (Plan informatique pour tous) la bonne solution, ou en tout cas maintenir les velléités de se servir de l’ordinateur comme micromonde et pas comme outils facile pour exercice ou super-tableau-noir au service d’un enseignement classique programmé.
Intérêt personnel pour ce travail
La réalisation de cette note de lecture m’a éclairé sur certains point.
– Elle m’a permis de lire un ouvrage que je n’avais jusqu’alors jamais ouvert mais beaucoup entendu parlé.
– Ayant vécu, en tant qu’élève, puis surtout en tant qu’animateur, l’utilisation du LOGO dans des cadres pédagogiques, je saisis l’intérêt de ce langage.
– Cela m’a permis de faire le lien entre le cours intitulé “ méthodologie ” et ce cours sur la psychologie de l’apprentissage.
Finalement, je n’en sors pas indemne, et c’est tant mieux. Ça me donnerait presque envie de faire de la recherche...
Messages
4 juillet 2017, 12:48, par GUERANDELLE
Merci pour cette synthèse "note de lecture bien rédigée et vraiment instructive. Qui va me servir comme outil de travail. Je suis animatrice TIC en cours d’écriture de projet autour de l’apprentissage du codage chez les jeunes enfants.
Cordialement.
S.G.